Siham Zerrouka
Dans une société compétitive où amour et sexe riment avec beauté, jeunesse et richesse, où l’amour et le sexe deviennent des notions qui tantôt s’entremêlent et tantôt se disloquent, l’homme subit et endure malgré lui, les nouvelles normes instaurées par la société ; une société où les valeurs traditionnelles et la morale ont presque disparu, où l’individualisme matérialiste a mis fin aux sentiments, aux passions et aux émotions, et il est donc tout naturel que l’amour soit voué à l’échec.
Ce réel est mis en scène dans certaines œuvres[1] de Michel Houellebecq, écrivain français du XXème siècle. Obscène, pessimiste et provocateur, on reproche assez souvent à cet auteur de reprendre de manière agressive le poids de la réalité qu’il décrit cliniquement dans ses œuvres. Une réalité cultivée grâce à une observation rationnelle qui semble remettre en question de manière acerbe la montée de l’individualisme et du matérialisme, provocant alors chez le lecteur une sorte de dégoût et de mépris. Il faut dire que Houellebecq ose se faire entendre, de manière grinçante, là où les autres manifestent moins d’audace. L’auteur ne cesse de mettre l’accent sur le comportement de l’homme moderne en ne laissant aucun lecteur indifférent.
En effet, l’amour est impossible dans un monde individualiste ; les rapports sexuels quant à eux, sont réduits à une satisfaction personnelle libidinale et purement charnelle. L’amour n’est dans ce cas que prétexte et dès lors, chaque personne est à la recherche d’une satisfaction personnelle. L’amour acquiert une fonction purement individuelle et utilitaire.
Il s’agit ici d’un tableau pessimiste mais au demeurant très réaliste. Et dans une société où règne la compétition économique et sexuelle, tout individu en quête des relations qui supposent le partage, la passion et la confiance, souffre affreusement et cette souffrance est due au manque de désir et de passion.
Pouvons-nous dire que la société est la cause réelle des affres que connait l’individu ? Pouvons-nous croire que l’amour harmonieux des temps passés n’existe plus ? Et que l’individu devra faire face à l’hostilité du monde ? À son désenchantement ? Houellebecq semble affirmer que c’est bien la société qui est à l’origine de ce malaise existentiel, mais elle n’en est pas la seule et unique source, puisque la société, elle-même, est victime du libéralisme qui a conduit les relations affectives et sexuelles à la déchéance et la jeunesse à devenir obsédée par les jeux érotiques. Ainsi, nous sommes face au constat que les mœurs et les valeurs des temps passés sont mortes.
La sexualité devient une consommation de biens comme une autre ; elle est dénuée de toute sentimentalité ; elle est réduite à de simples élucubrations érotiques sans tendresse aucune. A l’image de la civilisation qui l’a engendrée, elle est déshumanisée, désenchantée, objectivée (dans le sens de « matérialisée ») de manière excessive. Le corps n’a plus aucune charge sentimentale : il doit maintenant procurer plutôt des sensations relevant plus des réactions chimiques que d’autre chose.
Aucun espoir n’illumine le bout du tunnel lorsque l’amour est réduit à sa simple expression physique et quand il est vidé de sa sève émotionnelle et sentimentale. Aucun bonheur ne peut être vécu en amour s’il est confiné à de simples « transactions », dans le sens d’échanges sexuels rationnalisés, voire réifiés et canalisés vers une satisfaction libidinale. L’absence d’émotion est un sentiment d’anéantissement et de dislocation de l’être humain voué à une sorte de vacuité existentielle :
« La disparition des tourments passionnels laissait en effet le champ libre à l’ennui, à la sensation de vide, à l’attente angoissée du vieillissement et de la mort. [2] »
Houellebecq jette un regard lucide sur la société de la fin du siècle dernier et met au jour son désarroi profond. La fin du siècle précédent, avec la libération des mœurs et le culte de l’individu, faisait miroiter aux jeunes un bonheur éphémère et factice. Le sexe en remplacement de l’amour n’est qu’un horrible leurre. Désormais, une réelle démystification de la sexualité débridée et individuelle prend place, nous assure l’auteur.
Michel Houellebecq ne croit plus en ce monde moderne et libéral, en cette société gouvernée par l’individu solipsiste. En revanche, on peut affirmer que l’auteur ne bannit pas l’amour et les émotions. Bien au contraire, il en fait l’éloge. L’auteur reste, en réalité, nostalgique des relations amoureuses du passé.
En effet, cette nostalgie du passé s’exprime par le fait que les relations familiales étaient consolidées, la passion amoureuse était source de bonheur, la responsabilité maternelle était à son comble et où les rapports sexuels étaient sacralisés :
« C’est donc sans arbitraire que l’on peut caractériser les années cinquante, le début des années soixante comme un véritable âge d’or du sentiment amoureux[3]. »
Il faut dire que Houellebecq demeure très attaché aux bons sentiments, à l’amour, à la bonté, à la générosité. Il regrette le temps où l’amour était réellement source de bonheur, loin des satisfactions égoïstes. Ainsi, Houellebecq fait appel à des valeurs du passé pour critiquer un monde désenchanté par l’individualisme, l’utilitarisme et la réification des rapports humains.
[1] – HOUELLEBECQ, Michel, Les Particules élémentaires, J’ai lu, Paris, 1998 ; La Possibilité d’une île, Ed. Fayard, Paris, 2005 ; Extension du domaine de la lutte, J’ai lu, Paris, 1994 et
[2] – HOUELLEBECQ, Michel, Les Particules élémentaires, Flammarion, Paris, 1998, p.282-283
[3] – HOUELLEBECQ, Michel, La Possibilité d’une île, Ed. Fayard, Paris, 2005, p.54