Dr Moussayer Khadija – Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie – Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
Plus on vieillit, plus on risque de souffrir de maladies chroniques, notamment auto-immunes, nécessitant des traitements au long cours. Il est alors important de bénéficier d’un usage optimum et raisonné des médicaments. Ce qui est loin d’être toujours le cas si l’on se réfère à de nombreuses études internationales, en Europe comme en Amérique, qui montrent en moyenne que plus de 25 % des prescriptions médicales des personnes de plus de 65 ans sont potentiellement inappropriées (contenant au moins un médicament inadéquat), 40 % des prescriptions des plus de 75 ans sont inappropriées, et que la majorité de ces derniers sont soumis à une polymédication (plus de 5 médicaments) souvent délétère. Pire encore, une enquête de grande ampleur, EPI-PHARE, publiée en 2023 en France a dévoilé que la prévalence de ces prescriptions préjudiciables était de 33% supérieure chez les résidents en EHPAD par rapport aux personnes âgées vivant à domicile ! Rappelons que le personnel de ces établissements est pourtant censé appliquer par nature les règles de bonnes pratiques gériatriques !
QU’EST-CE QU’UN MEDICAMENT POTENTIELLEMENT INAPPROPRIE (MPI) ?
Se définit comme médicament potentiellement inapproprié celui pour lequel les risques sont supérieurs aux bénéfices.
Ce phénomène de prescription inadaptés a plusieurs raisons : la tendance du malade à attendre une solution thérapeutique à tout trouble et à être mécontent de sortir du médecin sans ordonnance ; la fragmentation des soins sans bonne coordination, quand le patient reçoit des médicaments de différents médecins ; le désir des médecins de bien guérir tous les troubles par la prescription la plus complète, trop même car créatrice d’autres déséquilibres…Résultat de tout cela : une étude belge en 2016 avait estimé qu’un tiers des hospitalisations des séniors dans les pays développés était lié directement ou indirectement à un mauvais usage thérapeutique, qu’il soit provoqué par le prescripteur ou le patient ! Le Maroc n’échappe certainement pas à ce constat global.
UNE MOINDRE TOLÉRANCE AUX MÉDICAMENTS AVEC L’ÂGE
Avec le vieillissement, des changements importants se produisent dans tout le corps rendant la personne âgée plus sujette aux effets secondaires des médicaments. En effet, la quantité totale d’eau de l’organisme diminue alors que la quantité de tissu adipeux augmente. Ainsi, les médicaments solubles dans l’eau deviennent plus concentrés et ceux solubles dans la graisse s’accumulent davantage dans cette dernière. De plus, les reins sont moins capables d’excréter les médicaments dans l’urine et le foie est moins capable de décomposer de nombreux médicaments. De ce fait, les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme que chez un adulte de 30/40 ans et leur passage est notamment plus agressif dans le cerveau. Ainsi, le paracétamol, un antalgique utilisé contre la douleur et/ou la fièvre, s’élimine deux fois plus lentement, le diazépam (valium), un tranquillisant, quatre fois plus lentement : il faut 80 heures – 3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier. Avec une prise quotidienne, une thérapeutique peut alors s’accumuler jusqu’à l’intoxication qui, de plus, n’apparaîtra souvent que plusieurs jours ou semaines après le début du traitement.
Plusieurs catégories de médicaments sont plus susceptibles d’entraîner des effets indésirables, en particulier certains antalgiques, anticoagulants, antihypertenseurs, antiparkinsoniens, diurétiques, hypoglycémiants et psychotropes. La sur-médication (plus de 5 médicaments) est trop souvent nocive car on ne maîtrise pas toujours bien les interactions entre les différentes molécules.
DES EFFETS SECONDAIRES AUX CONSEQUENCES PARFOIS DESASTREUSES !
Fatigue excessive, diminution de l’appétit, perte de poids, vertiges, malaise… Les signes d’un accident médicamenteux sont assez banals. Mal employés, certains médicaments sont responsables de véritables pathologies comme la dépression, la dénutrition (par baisse de l’appétit et du goût), les chutes, l’état de somnolence, la confusion aigüe ou encore les neuropathies. Un usage inconsidéré d’anti-hypertenseurs peut provoquer des baisses trop importantes de la tension, source d’étourdissements, de sensations de vertige et des chutes, aux conséquences souvent dramatiques : la fracture du col du fémur est ainsi fréquemment à l’origine de la perte d’autonomie et même de la mort (en France, entre 15 et 20 % des PA décèdent dans l’année qui suit cet accident).
L’ABSENCE D’UN MEDECIN « REFERENT » AU MAROC DOMMAGEABLE A LA COHERENCE THERAPEUTIQUE
La situation au Maroc est complexe. Jusqu’à présent, beaucoup de personnes ne bénéficiaient pas des traitements nécessaires faute de moyens financiers. La généralisation de l’assurance maladie va heureusement améliorer leurs soins. Pour ceux qui ont déjà des assurances, la problématique est souvent identique à celle décrite dans les pays les plus développés, sinon parfois pire. Les séniors pratiquent encore trop, comme tout le monde, un nomadisme médical, les amenant à se faire soigner à la fois ou successivement par plusieurs médecins en fonction de leurs pathologies. D’où une tendance à la sur-médication, alors que, comme en Europe, ils devraient avoir un seul médecin référent, le médecin de « famille », qui les prend en charge globalement en coordonnant l’ensemble des soins et en décidant des thérapeutiques. Cela peut être notamment le médecin généraliste, le généraliste à orientation gériatrique, le spécialiste d’une pathologie particulièrement lourde, le gériatre ou le spécialiste en médecine interne. Ce dernier est d’ailleurs en général reconnu comme le plus apte à prendre en charge les situations les plus complexes et polypathologiques, de par sa compétence transversale. La règle d’or en gériatrie en tout cas est de se concentrer sur la ou les 2 ou 3 pathologies principales mais de ne pas chercher à tout prix à médicamenter les autres plus ou moins petits écarts à la normalité (qui avec l’âge, doivent plutôt être considérés comme physiologiques).
Le dernier point important à souligner est enfin la bonne observance des traitements par les malades eux-mêmes car c’est souvent leur défaillance qui pose problèmes par sous ou sur-médication ou encore automédication incontrôlée.
QUELQUES RESULTATS SUPPLEMENTAIRES DE L’ENQUÊTE EPI-PHARE
L’étude transversale EPI-PHARE a été réalisée en 2019 à partir des bases de données de l’Assurance maladie française. La population étudiée incluait 274 971 résidents en EHPAD et 4 893 721 résidents à domicile âgés de 75 ans ou plus. L’analyse des données a montré que 39,6% d’entre eux ont été exposés à au moins un médicament potentiellement inapproprié (MPI), 20,1% ont reçu 2 de ces médicaments et 10,9% quatre ou plus (avec la palme d’or des plus mauvais résultats attribués aux EHPAD !). Les MPI les plus fréquents étaient par ordre d’importance décroissant ceux liés aux benzodiazépines, suivis par ceux liés aux atropiniques, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, à l’association de 3 médicaments ou plus agissant sur le système nerveux central, et aux antihypertenseurs.
BIBLIOGRAPHIE
-Halte à l’overdose pour les personnes âgées ! Que Choisir Santé 28/01/2015
-30% des hospitalisations chez les personnes âgées liées à une médication inappropriée, Communiqué Université catholique de Louvain (UCL) 30 septembre 2016
-Catégories de médicaments qui méritent une vigilance chez le patient âgé – Manuel MSD
https://www.msdmanuals.com/fr/professional/g%C3%A9riatrie/traitement-m%C3%A9dicamenteux-chez-les-personnes-%C3%A2g%C3%A9es/cat%C3%A9gories-de-m%C3%A9dicaments-qui-m%C3%A9ritent-une-vigilance-chez-le-patient-%C3%A2g% C3%A9
-Prescriptions potentiellement inappropriées chez la personne âgée de 65 ans et plus (PIM)
-Solène Drusch , Mahmoud Zureik , Marie Herr Potentially inappropriate medications and polypharmacy in the older population : A nationwide cross-sectional study in France in 2019 , Elsevier Therapies September–October 2023, Pages https://doi.org/10.1016/j.therap.2023.02.001